dimanche 22 novembre 2009

LE HORLA - JOURNAL D'UN FOU

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12 mai.
- J'ai un peu de fièvre depuis quelques jours; je me sens souffrant, ou plutôt je me sens triste. D'où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre confiance en détresse ? On dirait que l'air, l'air invisible est plein d'inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je m'éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge. - Pourquoi ? - Je descends le long de l'eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m'attendait chez moi. - Pourquoi ? - Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Sait-on ?



25 mai. - Vers dix heures, je monte dans ma chambre. A peine entré, je donne deux tours de clef, et je pousse les verrous ; j'ai peur... de quoi ?... Je ne redoutais rien jusqu'ici... j'ouvre mes armoires, je regarde sous mon lit ; j'écoute... j'écoute... quoi ?... Est-ce étrange qu'un simple malaise, un trouble de la circulation peut-être, l'irritation d'un filet nerveux, un peu de congestion, une toute petite perturbation dans le fonctionnement si imparfait et si délicat de notre machine vivante, puisse faire un mélancolique du plus joyeux des hommes, et un poltron du plus brave ?
Puis, je me couche, et j'attends le sommeil comme on attendrait le bourreau. Je l'attends avec l'épouvante de sa venue, et mon coeur bat, et mes jambes frémissent ; et tout mon corps tressaille dans la chaleur des draps, jusqu'au moment où je tombe tout à coup dans le repos, comme on tomberait pour s'y noyer, dans un gouffre d'eau stagnante.


Je dors - longtemps - deux ou trois heures - puis un rêve - non - un cauchemar m'étreint. Je sens bien que je suis couché et que je dors... je le sens et je le sais... et je sens aussi que quelqu'un s'approche de moi, me regarde, me palpe, monte sur mon lit, s'agenouille sur ma poitrine, me prend le cou entre ses mains et serre... serre... de toute sa force pour m'étrangler. Moi, je me débats, lié par cette impuissance atroce, qui nous paralyse dans les songes ; je veux crier, - je ne peux pas ; - je veux remuer, - je ne peux pas ; - j'essaie, avec des efforts affreux, en haletant, de me tourner, de rejeter cet être qui m'écrase et qui m'étouffe, - je ne peux pas !
Et soudain, je m'éveille, affolé, couvert de sueur. J'allume une bougie. Je suis seul.




5 juillet. - Comme je le fais maintenant chaque soir, j'avais fermé ma porte à clef ; puis, ayant soif, je bus un demi-verre d'eau, et je remarquai par hasard que ma carafe était pleine jusqu'au bouchon de cristal. Je me couchai ensuite et je tombai dans un de mes sommeils épouvantables, dont je fus tiré au bout de deux heures environ par une secousse plus affreuse encore. (...)
Ayant enfin reconquis ma raison, j'eus soif de nouveau; j'allumai une bougie et j'allai vers la table où était posée ma carafe. Je la soulevai en la penchant sur mon verre ; rien ne coula. - Elle était vide ! Elle était vide complètement ! D'abord, je n'y compris rien; puis, tout à coup, je ressentis une émotion si terrible, que je dus m'asseoir, ou plutôt, que je tombai sur une chaise! puis, je me redressai d'un saut pour regarder autour de moi! puis je me rassis, éperdu d'étonnement et de peur, devant le cristal transparent ! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant à deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau? Qui ? Moi ? (...)
Ah ! qui comprendra mon angoisse abominable ? Qui comprendra l'émotion d'un homme, sain d'esprit, bien éveillé, plein de raison et qui regarde épouvanté, à travers le verre d'une carafe, un peu d'eau disparue pendant qu'il a dormi ! Et je restai là jusqu'au jour, sans oser regagner mon lit.



6 juillet. - Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit; - ou plutôt, je l'ai bue! Mais, est-ce moi? Est-ce moi ? Qui serait-ce ? Qui ? Oh ! mon Dieu ! Je deviens fou ! Qui me sauvera ?




6 août. - Cette fois, je ne suis pas fou. J'ai vu... j'ai vu... j'ai vu !... Je ne puis plus douter... j'ai vu !... J'ai encore froid jusque dans les ongles... j'ai encore peur jusque dans les moelles... j'ai vu !...




19 août. - Il est venu, le... le... comment se nomme-t-il... le... il me semble qu'il me crie son nom, et je ne l'entends pas... le... oui... il le crie... J'écoute... je ne peux pas... répète... le... Horla... J'ai entendu... le Horla... c'est lui... le Horla... il est venu !...







20 août. - Le tuer, comment ? puisque je ne peux l'atteindre ? Le poison ? mais il me verrait le mêler à l'eau; et nos poisons, d'ailleurs, auraient-ils un effet sur son corps imperceptible ? Non... non... sans aucun doute...
Alors ?... alors ?...



10 septembre. - Non... non... sans aucun doute, sans aucun doute... il n'est pas mort...
Alors... alors... il va donc falloir que je me tue, moi!


9 commentaires:

Gosia a dit…

Cette fois-ci plus de lecture que des photos :)
"Le Horla" à lire absolument en entier!

Anfrida a dit…

Non... non... sans aucun doute, sans aucun doute...ce "journal d'un fou" est mieux que tous les oeuvres de Hitchcock!

Gosia a dit…

... sans aucun doute, sans aucun doute....
XIX siècle c'est beaucoup mieux que Hitchcock, t'as raison Fi! ;)

Gosia a dit…

Ah, je savais même pas qu'ils ont fait un film!
http://www.dailymotion.com/video/x77mp3_le-horla-bande-annonce_shortfilms

mais...mais non..mais non! ^^
je conseille la lecture, sans aucun doute ;)

Anonyme a dit…

było cukierkowo, potem nostalgicznie, a teraz jest strasznie...
Och Gosiu, ale masz nastroje. ;)

Gosia a dit…

Wiciu, to tylko wspomnienie z literatury! ;)

Anonyme a dit…

chère Gosia
pas encore remise des frayeurs ténébreuses du Horla.
me voici précipitée dans le feu de l'enfer

j'ai montré la première photo à Jean qui s'est aussitöt
exclamé "mais c'est l'enfer"

quel talent!

J.S.

Seb! a dit…

Chapeau bas... et simplement FAN ;-)

Anonyme a dit…

Les images et le texte marchent vraiment bien ensembles. Toujours impressionnée!